lundi 1 octobre 2012

LES ESCLAVES MODERNES

« Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ;
L’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes. »
Art.4 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Esclave ! Ce mot fait penser à la traite négrière qui a arraché du sol africain des millions d’êtres humains, traités comme du bétail et « exportés » vers le continent américain où ils étaient vendus comme de la marchandise. Si cet esclavage a été aboli depuis longtemps, il ne demeure pas moins qu’aujourd’hui encore, des dizaines de millions de personnes vivent dans le désespoir et la servitude, perdus dans les mains d’exploiteurs sans pitié qui les affament, les maltraitent, les terrorisent… Ces esclaves modernes constituent une main d’œuvre sans voix, sans défense et corvéable à merci.
« Esclaves dès leur plus jeune âge ou tombés un jour en servitude, des êtres humains s’épuisent dans les champs, les fabriques, les mines, les plantations, les maisons, les ateliers ou les bordels. Esclaves pour dettes, victimes de négriers modernes ou clandestins pris au piège de la traite des êtres humains, ils subissent les pires traitements, réduits au statut d’objets. Contrairement à l’époque de la traite transatlantique, le critère déterminant n’est pas la couleur de la peau, ni l’origine ethnique mais la vulnérabilité qui permet une emprise totale sur une personne. » (www.esclavagemoderne.org)
Les principales formes contemporaines d’esclavage sont l’esclavage pour dettes, le travail forcé, l’esclavage sexuel (prostitution ou pornographie), le mariage forcé, l’esclavage traditionnel, et le travail exorbitant des enfants… Ces réalités dont les plus faibles sont les victimes existent sur tous les continents, même européen. La Lucarne ne peut les aborder toutes mais veut attirer votre attention sur quelques-unes peu développées dans les médias.

« C’EST MOZART QU’ON ASSASSINE »

Le travail des enfants est considéré comme de l’esclavage lorsqu’il se fait dans des situations dangereuses ou impliquant exploitation. Selon le Bureau international du travail (BIT), 250 millions d’enfants de 5 à 14 ans travailleraient actuellement dans le monde, près de la moitié dans des conditions dangereuses. Par exemple, ces enfants travaillant dans les mines en Inde dans la région du Meghalaya. Grâce à leur petite taille, ils peuvent entrer dans les galeries. En Côte d’Ivoire, des enfants travaillent dans des exploitations de cacaoyers dans lesquels ils pulvérisent des produits insecticides et débroussaillent à l’aide de machettes. En Egypte, ils cueillent le jasmin 10h par jour sans pause ni repas. En Colombie, ils sont « ouvriers » dans les carrières. En Haïti, les enfants sont employés dans les champs de canne à sucre.
D’autre part, l’Unicef estime à plus de 250000 les enfants soldats. Dans le monde, des garçons et des filles sont enlevés et enrôlés de force dans des groupes armés, contraints par le contexte social, économique et sécuritaire à devenir enfants soldats. Ils y sont utilisés en tant que soldats, cuisiniers, porteurs mais aussi à des fins sexuelles.
Non seulement, ces enfants accomplissent des tâches dangereuses mais les chances d’une éducation normale leur échappent. Ils sont perdants sur tous les plans. Toutefois, des ONG comme l’Unicef ainsi que des initiatives plus petites voient le jour pour aider ces enfants soldats. Junior Nzita, ancienne victime, a créé à Kinshasa une association dans laquelle plus de 90 anciens enfants soldats sont assistés, suivis, « rééduqués ».
Notons enfin, le phénomène majeur de l’exploitation sexuelle des enfants, plus d’1 million d’enfants asiatiques  en sont victimes : c’est l’Inde qui est le pays le plus touché avec plus de 400000 enfants recensés. Aux Etats-Unis, plus de 300000 sont concernés par ce fléau tandis qu’en Afrique du Sud environ 30000 enfants se prostituent. (http://www.droitsenfant.org/exploitation-sexuelle-enfants)
DES HOMMES CORVEABLES A MERCI SUR NOTRE CONTINENT 

En Grande-Bretagne, à l’automne 2011, la police a découvert des Anglais, sans-logis, réduits en esclavage par des gangs de famille nomades d’origine irlandaise. Très souvent, ils étaient recrutés dans les soupes populaires pour travailler sur des chantiers dans leur pays ou être « exportés » vers les pays scandinaves. Un homme auquel on avait promis « 50 livres par jour et autant d’alcool qu’il voulait » déclarait avoir été gardé pendant huit mois dans un camping du comté de Bedford, d’où on l’emmenait sur des sites de démolition. « Si vous faisiez mine de vouloir vous échapper, on vous rouait de coups. Pas d’argent et peu de nourriture »
Après enquête et témoignage, la police a arrêté, parmi les baraques et caravanes, six Irlandais et a découvert 24 victimes d’origine anglaise ou d’Europe de l’Est forcées d’y vivre dans des conditions exécrables. A la suite de la découverte de ces événements, le quotidien « Times » a calculé que ces groupes, formés de trois ou quatre familles irlandaises, y avaient gagné quelque 15 millions d’euros.

Une autre problématique est celle de ces milliers de Turcs, de Polonais, de Tchèques, de Slovaques devenus des chauffeurs-routiers low-cost. Ils travaillent pour des grands groupes de transport français ou européens de l’Ouest par le biais d’ingénieux jeux de filiales. Ils vivent sur le bord de la route ou sur les parkings et coûtent 3 x moins cher qu’un chauffeur de nos régions. Ils sont poussés à tricher sur leur temps de travail et à rouler plus dangereusement pour être rentables.

L’O.I.T. (Organisation Internationale du Travail) fondée en 1919 et devenue la 1ère agence spécialisée des Nations Unies en 1946 a pour but de promouvoir la justice sociale et les droits reconnus de la personne humaine et du travail. Elle est la seule organisation tripartite au sein de l’ONU, et chacun de ses 183 Etats Membres est représenté par deux délégués du gouvernement, un délégué des employeurs et un délégué des travailleurs qui peuvent voter de manière indépendante. Les nouvelles normes de l’O.I.T. stipulent que les travailleurs domestiques devront disposer des mêmes droits fondamentaux au travail que ceux des autres travailleurs : des horaires de travail raisonnables, un repos hebdomadaire d’au moins 24 h consécutives, une limitation des paiements en liquide, une information claire sur les termes et les conditions d’embauche ainsi que le respect des principes et droits fondamentaux au travail, y compris la liberté d’association et le droit à la négociation collective.
En juin 2012, la Commission européenne a présenté un ensemble de mesures ayant pour but l’éradication de la traite des êtres humains. Celles-ci misent sur la prévention, la protection juridique et autres ainsi que le soutien aux victimes sans oublier la poursuite des trafiquants. Un enjeu puisque la traite des êtres humains génèrerait près de 32 milliards de profit par an.

LES FEMMES DOMESTIQUES SUBISSENT …  

Le B.I.T a estimé selon des enquêtes ou des recensements dans 117 pays à au moins 53 millions de travailleurs domestiques mais les spécialistes estiment qu’il pourrait dépasser largement les 100 millions. Selon l’O.I.T., 83% des domestiques sont des femmes ou des jeunes filles. Elles travaillent dans des familles du Proche ou Moyen-Orient mais aussi en Europe. Certaines d’entre elles sont victimes de l’exploitation sexuelle.
Au Liban, de nombreuses femmes d’origine asiatique ou africaine, travaillent comme bonnes à tout faire. Martha, une Ethiopienne d’une vingtaine d’années  était frappée, insultée par son employeur et ses trois enfants. En effet, beaucoup de patrons libanais, ont l’habitude de conserver le passeport et de ne pas laisser sortir leurs employées pendant des années. Elles sont victimes d’autres violences comme des viols, des humiliations, des conditions de vie horribles et souvent non-payées.  Une autre « terre d’accueil » pour les domestiques est l’Arabie Saoudite. Dans ce  pays, tout employé étranger a besoin d’un parrainage pour pouvoir y travailler. Une porte ouverte à l’exploitation ! Ainsi, si une domestique veut quitter un employeur violent, elle ne le peut pas car elle doit recevoir une autorisation expresse de sa part. Cependant, en Arabie Saoudite, au Bahreïn, au Koweït, des volontés politiques s’affirment afin de faire évoluer ce système de parrainage voire même d’y mettre fin. Ces responsables sont confrontés au lobby des chefs d’entreprises mais aussi au secteur lucratif des visas.
En 2010, la justice belge a inculpé neuf personnes dont huit princesses des Emirats arabes unis pour traite des êtres humains et séquestration de 23 femmes domestiques de huit nationalités. En Europe, elles sont des milliers à subir cette nouvelle forme d’asservissement. Beaucoup sont au service de diplomates sûrs de leur impunité.

… ET SE REBIFFENT

Au Brésil, grâce à une croissance économique soutenue, à la diminution du fossé entre les plus riches et les plus pauvres, aux investissements étrangers dans les régions moins favorisées, le rapport de forces entre patrons et employés s’est inversé en faveur de ces derniers. Les bonnes et autres employés de maison ont vu leurs salaires progresser plus rapidement que ceux des autres catégories socio-professionnelles. (40% de pouvoir d’achat réel) En position de force, ils imposent leurs conditions de travail, leur salaire, n’habitent plus chez leurs patrons. Et pour montrer toute leur importance aujourd’hui, un téléfilm « Cheias de charme » lancé par la chaîne Rede Globo a donné un rôle primordial à une domestica en racontant sa vie et son histoire. Un bouleversement !

Même si de nombreuses personnes se lèvent pour défendre la cause de ces enfants, hommes et femmes exploités, beaucoup de situations honteuses demeurent. A travers ces souffrances infligées, c’est la question de notre humanité qui est au cœur du débat. Quelle est la valeur de l’être humain dans notre société d’aujourd’hui face au profit que peut rapporter la traite des Hommes ? Que faisons-nous pour que les enfants, l’avenir du monde, puissent devenir des citoyens responsables d’un monde plus juste ?

Sources :

Le Vif n°3184 du 13 au 26 juillet 2012 pp 60-62.
ec.europa.eu/news/justice
Envoyé spécial France 2 diffusé en février 2011
Envoyé spécial France 2 diffusé en octobre 2011.