Un sommet Inde-Afrique à New-Delhi, un autre entre
Amérique latine et monde arabe au Qatar, un troisième entre Amérique latine et
Afrique au Venezuela : tout cela en 2009. Qui en a entendu parler ?
La Chine est devenue récemment, avant les USA, le premier acheteur de pétrole saoudien. Une
coordination économique et politique existe depuis peu entre l'Inde, le Brésil,
la Russie, la Chine et l'Afrique du sud. Surprenant !
Les vieilles amitiés particulières.
Les médias regorgent de nouvelles concernant ces
amitiés de longue date. On n'arrête pas d'entendre parler de l'Union
Européenne, actuellement de 27 membres, ou
de l'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) qui regroupe
militairement les pays d'Amérique du
Nord et la plupart des pays européens. Les difficultés économiques de la Grèce
et les déboires de l'OTAN en Afghanistan font régulièrement la une en Occident
depuis des mois. L'alliance économique entre la Chine et les USA n'est plus un secret pour personne. Sont un peu
moins souvent cités, en tout cas dans les médias européens, le MERCOSUR(1),
sorte de marché commun d'Amérique du Sud qui vise l'union économique et
politique du sous-continent ; ou l'ALENA (2), simple accord de
libre-échange nord-américain entre le Mexique, les USA et le Canada.
Les rapprochements récents … inattendus.
Depuis une dizaine d'années, certains rapprochements
ont été initiés soit par des pays désireux de desserrer une étreinte imposée
pendant des décennies par une grande puissance (les anciens pays d'Europe de
l'Est, satellites de l'ex-URSS), soit par des pays émergents comme la Corée du
Sud qui cherchent à élargir leurs frontières économiques. D'autres
partenariats, cités dans les exemples ci-après, sont a priori moins logiques et
pourraient même sembler contre nature ...
Inde et Iran.
Après avoir voté à plusieurs reprises en faveur des
sanctions décidées par l'ONU contre le programme nucléaire iranien, l'Inde
a pourtant mis en place avec Téhéran un
ambitieux partenariat de rénovation de routes et de ports iraniens, mais aussi
des échanges militaires et de ventes d'armes. Des compagnies indiennes sont
installées en Iran : New Delhi renâcle souvent contre les sanctions
supplémentaires imposées par l'UE et les USA au gouvernement de M.Ahmadinejad
car elles affectent la bonne santé de ces compagnies. L'Inde, se méfiant de son
voisin pakistanais soutenu par les Occidentaux, commence à prendre ses
distances envers ces mêmes Occidentaux. En Iran, c'est à la Chine qu'elle ne
veut pas laisser le champ libre et par
sa diplomatie, veut éviter que la crise iranienne ajoutée à la guerre en
Afghanistan ne déstabilise plus encore cette partie du monde déjà très
fragilisée.
Inde et Israël.
Le rapprochement entre New Delhi et Téhéran aurait
pu inciter Israël à refuser toute collaboration avec l'Inde, l'Iran étant un
des ennemis jurés de Tel-Aviv. Pourtant, dès 1992, avec la fin de la guerre
froide et les perspectives de paix de la Conférence de Madrid sur le
Proche-Orient, New Delhi a établi des liens diplomatiques avec l'Etat hébreu.
Malgré l'opposition de la minorité musulmane indienne, les gouvernements
indiens ont depuis, affiché ouvertement leur sympathie pour Tel-Aviv, avec à la
clé, une coopération économique sans
cesse renforcée, essentiellement dans les domaines de la défense et de la
sécurité. Ainsi, quand les exportations d'armes israéliennes qui s'effectuaient
en grande partie vers la Chine ont fortement diminué, à la suite du véto opposé
par les USA (grand allié de l'Etat hébreu) au transfert de technologies
sensibles à Pékin, Israël s'est tourné
vers d'autres marchés, dont l'Inde, depuis plusieurs années en grande
croissance économique. Chars,
hélicoptères, porte-avions, avions de combat ont tous été équipés de
matériel électronique israélien. Ensuite, des radars Phalcon ont été développés
et vendus à l'armée indienne (après en avoir interdit à Israël la vente à la
Chine en 2000, Washington l'a autorisée pour l'Inde). Et il y a 4 ans, les deux Etats ont annoncé un projet
d'accord de 2,5 milliards de dollars pour la mise au point d'un système de
lutte antiaérienne basé sur le missile Barak, destiné aux armées de terre et de
l'air. Mieux : en 2008, l'Inde a lancé pour Israël un satellite
d'espionnage susceptible de fournir des informations sur les installations
stratégiques … iraniennes !
Depuis longtemps déjà, la diplomatie indienne aime
faire le grand écart : en 2003, elle avait reçu successivement MM. Ariel
Sharon et Mohammad Khatami !
Chine et Arabie saoudite.
En dix ans, de solides relations se sont tissées
entre la Chine, pays qui se réclame de l'athéisme et du
« communisme », et l'Arabie saoudite, gardienne des lieux saints de
l'islam et monarchie réactionnaire où, entre autres, les femmes n'ont
pratiquement aucun droit. En 2009, la Chine est devenue le premier acheteur de
pétrole saoudien. Et elle a vendu de grosses quantités de voitures dans ce
royaume friand de 4X4. Tout cela soulève des inquiétudes à Washington, même si
les relations actuelles sont surtout économiques.
Les entreprises chinoises déploient beaucoup
d'agressivité sur les marchés de la construction et ont même failli évincer la
France sur le marché du TGV La
Mecque-Medine. Il faut dire qu'elles ont une énorme capacité à tisser des
relations étroites avec les décideurs politiques et même la famille royale.
Elles peuvent aussi envoyer très vite une main-d'oeuvre peu payée et sont
toujours prêtes à « terminer le chantier pour hier « !
La Chine a réussi une percée qui s'élargit à tout le
Proche-Orient : le commerce entre les deux entités a bondi, entre 2004 et
2009, de 37 à 110 milliards de dollars.
Des forums sino-arabes réunissent
régulièrement des hommes d'affaires comme des responsables politiques. Même les
échanges culturels s'intensifient : la chaîne télé Al-Jazirah dispose de
bureaux à Pékin qui a lancé une version arabe de sa chaîne d'information CCTV.
Et sur l'international, Riyad et Pékin partagent une approche similaire, un
même respect de la non-ingérence et le même mépris pour la diplomatie
occidentale des droits humains, perçue comme « opportuniste et à géométrie
variable ».
Il existe aussi des relations militaires entre les
deux pays, en toute discrétion. Le seul achat connu (et reconnu) de matériel
chinois serait l'acquisition de missiles CSS-5 et 6 en 2010 …
Iran et Amérique latine.
Depuis son élection en 2005, M. Ahmadinejad,
président iranien, a été reçu dans la plupart des pays latino-américains. Et à
Téhéran, il a accueilli MM. Correa, Morales, Ortega (présidents de l'Equateur,
de Bolivie, du Nicaragua) ainsi que Lula da Silva (ex-président du Brésil). M.
Chavez, président du Venezuela, a, quant à lui, déjà effectué 9 visites dans la
capitale iranienne. L'Iran a ouvert de nouvelles ambassades dans une dizaine de
pays d'Amérique centrale ou du Sud.
En 2004, le commerce entre Caracas et Téhéran ne
dépassait pas un million de dollars ; deux ans plus tard, il atteignait 50
fois ce chiffre. Chacun des deux pays a multiplié les sites de production chez
son partenaire dans des secteurs comme l'automobile, les tracteurs, les
cimenteries. En 2009, ils ont créé une banque commune de développement et ont
signé de nouveaux accords de coopération. Et depuis 2007, des vols
hebdomadaires assurent la liaison Téhéran / Caracas.
En 2010, le Brésil et l'Iran se sont engagés à augmenter le volume de leurs échanges et à les porter à 10 milliards de dollars en 2014, notamment dans le domaine militaire avec des programmes de coopération concernant la production de munitions et la formation de personnels.
En 2010, le Brésil et l'Iran se sont engagés à augmenter le volume de leurs échanges et à les porter à 10 milliards de dollars en 2014, notamment dans le domaine militaire avec des programmes de coopération concernant la production de munitions et la formation de personnels.
Les investissements de l'Iran en Amérique
latine lui permettent de mettre le pied
dans l'ancienne arrière-cour des USA et également de soutenir sa propre
économie, victime des sanctions onusiennes, notamment dans des secteurs comme
l'aviation, l'automobile ou l'exploitation pétrolière. Et c'est peu dire que de
telles activités préoccupent Washington …
(ces 4 lignes avec un arrière-fond en couleur
différente ?)
Le BRICS et le GMT : kekseksa ?
Peu connu, le BRICS, créé en 2009, est une
organisation regroupant 5 puissances émergentes (soit 3 milliards
d'habitants) : le Brésil(B), la Russie(R), l'Inde(I),la Chine(C), l'Afrique du Sud (S). Leur slogan « Pour
un ordre international plus juste » exprime leur détermination à renforcer
leur coopération économique, notamment par des échanges de ressources technologiques et naturelles (métaux,
minéraux, pétrole, gaz). Le BRICS n'a pas vraiment de politique étrangère
précise mais souligne son désir d'indépendance envers l'Occident, spécialement
les USA, ce qui s'avère, pour ce qui concerne le Brésil, un véritable
bouleversement ! L'organisation souhaite aussi une vraie refondation du
Conseil de sécurité de l'ONU, du FMI et de la Banque Mondiale.
Tout aussi peu connu, le GMT (Grand Marché
Transatlantique), programmé pour 2015, est un projet d'union, sans entrave
tarifaire, de l'UE (première puissance commerciale mondiale) et des USA.
Nombreuses réunions secrètes, brouillard médiatique … bref, un projet qui
avance dans le dos des citoyens.
Lire le monde autrement.
Le monde issu de la deuxième guerre mondiale ou de
la guerre froide est en passe de disparaître, lentement mais sûrement. Les
puissances occidentales vont devoir probablement céder leur suprématie
économique et politique à d'autres pays comme la Chine ou l'Inde dans les
décennies à venir. Le pouvoir va ainsi
peu à peu changer de mains. Quant aux alliances nouvelles, elles sont à
regarder avec une autre grille de lecture : les idéologies passent souvent
au second plan, des ambitions inédites naissent, faisant fi des idées reçues.
C'est toujours le pragmatisme qui est de mise, comme le disait déjà il y a 150
ans lord Palmerston, premier ministre de la reine Victoria :
« Moi, je n'ai pas d'amis, je n'ai pas d'ennemis … je n'ai que des
intérêts. »
SOURCES : « Le GMT : les
multinationales contre la démocratie » de R. Cherenti et B. Poncelet,
éd. Bruno Leprince.
« Le Monde Diplomatique » novembre et décembre 2010, janvier
2011. »