mardi 1 mai 2012

ALLIANCES INTERNATIONALES INSOLITES

Loin des micros et des caméras, des partenariats très discrets entre différents pays se créent  à travers le monde. Ils ne font  pas la une des journaux écrits, parlés ou télévisés.
Un sommet Inde-Afrique à New-Delhi, un autre entre Amérique latine et monde arabe au Qatar, un troisième entre Amérique latine et Afrique au Venezuela : tout cela en 2009. Qui en a entendu parler ?
La Chine est devenue récemment, avant les USA,  le premier acheteur de pétrole saoudien. Une coordination économique et politique existe depuis peu entre l'Inde, le Brésil, la Russie, la Chine et l'Afrique du sud. Surprenant !

Les vieilles amitiés particulières.

Les médias regorgent de nouvelles concernant ces amitiés de longue date. On n'arrête pas d'entendre parler de l'Union Européenne, actuellement de 27 membres, ou  de l'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) qui regroupe militairement  les pays d'Amérique du Nord et la plupart des pays européens. Les difficultés économiques de la Grèce et les déboires de l'OTAN en Afghanistan font régulièrement la une en Occident depuis des mois. L'alliance économique entre la Chine et les USA n'est  plus un secret pour personne. Sont un peu moins souvent cités, en tout cas dans les médias européens, le MERCOSUR(1), sorte de marché commun d'Amérique du Sud qui vise l'union économique et politique du sous-continent ; ou l'ALENA (2), simple accord de libre-échange nord-américain entre le Mexique, les USA et le Canada.
Les rapprochements récents … inattendus.
Depuis une dizaine d'années, certains rapprochements ont été initiés soit par des pays désireux de desserrer une étreinte imposée pendant des décennies par une grande puissance (les anciens pays d'Europe de l'Est, satellites de l'ex-URSS), soit par des pays émergents comme la Corée du Sud qui cherchent à élargir leurs frontières économiques. D'autres partenariats, cités dans les exemples ci-après, sont a priori moins logiques et pourraient même sembler contre nature ...
Inde et Iran.
Après avoir voté à plusieurs reprises en faveur des sanctions décidées par l'ONU contre le programme nucléaire iranien, l'Inde a  pourtant mis en place avec Téhéran un ambitieux partenariat de rénovation de routes et de ports iraniens, mais aussi des échanges militaires et de ventes d'armes. Des compagnies indiennes sont installées en Iran : New Delhi renâcle souvent contre les sanctions supplémentaires imposées par l'UE et les USA au gouvernement de M.Ahmadinejad car elles affectent la bonne santé de ces compagnies. L'Inde, se méfiant de son voisin pakistanais soutenu par les Occidentaux, commence à prendre ses distances envers ces mêmes Occidentaux. En Iran, c'est à la Chine qu'elle ne veut pas  laisser le champ libre et par sa diplomatie, veut éviter que la crise iranienne ajoutée à la guerre en Afghanistan ne déstabilise plus encore cette partie du monde déjà très fragilisée.
Inde et Israël.
Le rapprochement entre New Delhi et Téhéran aurait pu inciter Israël à refuser toute collaboration avec l'Inde, l'Iran étant un des ennemis jurés de Tel-Aviv. Pourtant, dès 1992, avec la fin de la guerre froide et les perspectives de paix de la Conférence de Madrid sur le Proche-Orient, New Delhi a établi des liens diplomatiques avec l'Etat hébreu. Malgré l'opposition de la minorité musulmane indienne, les gouvernements indiens ont depuis, affiché ouvertement leur sympathie pour Tel-Aviv, avec à la clé, une coopération économique  sans cesse renforcée, essentiellement dans les domaines de la défense et de la sécurité. Ainsi, quand les exportations d'armes israéliennes qui s'effectuaient en grande partie vers la Chine ont fortement diminué, à la suite du véto opposé par les USA (grand allié de l'Etat hébreu) au transfert de technologies sensibles à Pékin, Israël s'est  tourné vers d'autres marchés, dont l'Inde, depuis plusieurs années en grande croissance économique.  Chars, hélicoptères, porte-avions, avions de combat  ont tous été équipés de matériel électronique israélien. Ensuite, des radars Phalcon ont été développés et vendus à l'armée indienne (après en avoir interdit à Israël la vente à la Chine en 2000, Washington l'a autorisée pour l'Inde). Et il y a  4 ans, les deux Etats ont annoncé un projet d'accord de 2,5 milliards de dollars pour la mise au point d'un système de lutte antiaérienne basé sur le missile Barak, destiné aux armées de terre et de l'air. Mieux : en 2008, l'Inde a lancé pour Israël un satellite d'espionnage susceptible de fournir des informations sur les installations stratégiques … iraniennes !
Depuis longtemps déjà, la diplomatie indienne aime faire le grand écart : en 2003, elle avait reçu successivement MM. Ariel Sharon et Mohammad Khatami !
Chine et Arabie saoudite.
En dix ans, de solides relations se sont tissées entre la Chine, pays qui se réclame de l'athéisme et du « communisme », et l'Arabie saoudite, gardienne des lieux saints de l'islam et monarchie réactionnaire où, entre autres, les femmes n'ont pratiquement aucun droit. En 2009, la Chine est devenue le premier acheteur de pétrole saoudien. Et elle a vendu de grosses quantités de voitures dans ce royaume friand de 4X4. Tout cela soulève des inquiétudes à Washington, même si les relations actuelles sont surtout économiques.
Les entreprises chinoises déploient beaucoup d'agressivité sur les marchés de la construction et ont même failli évincer la France sur le marché du TGV  La Mecque-Medine. Il faut dire qu'elles ont une énorme capacité à tisser des relations étroites avec les décideurs politiques et même la famille royale. Elles peuvent aussi envoyer très vite une main-d'oeuvre peu payée et sont toujours prêtes à  « terminer le chantier pour hier « !
La Chine a réussi une percée qui s'élargit à tout le Proche-Orient : le commerce entre les deux entités a bondi, entre 2004 et 2009,  de 37 à 110 milliards de dollars. Des forums sino-arabes  réunissent régulièrement des hommes d'affaires comme des responsables politiques. Même les échanges culturels s'intensifient : la chaîne télé Al-Jazirah dispose de bureaux à Pékin qui a lancé une version arabe de sa chaîne d'information CCTV. Et sur l'international, Riyad et Pékin partagent une approche similaire, un même respect de la non-ingérence et le même mépris pour la diplomatie occidentale des droits humains, perçue comme « opportuniste et à géométrie variable ».
Il existe aussi des relations militaires entre les deux pays, en toute discrétion. Le seul achat connu (et reconnu) de matériel chinois serait l'acquisition de missiles CSS-5 et 6 en 2010 …
Iran et Amérique latine.
Depuis son élection en 2005, M. Ahmadinejad, président iranien, a été reçu dans la plupart des pays latino-américains. Et à Téhéran, il a accueilli MM. Correa, Morales, Ortega (présidents de l'Equateur, de Bolivie, du Nicaragua) ainsi que Lula da Silva (ex-président du Brésil). M. Chavez, président du Venezuela, a, quant à lui, déjà effectué 9 visites dans la capitale iranienne. L'Iran a ouvert de nouvelles ambassades dans une dizaine de pays d'Amérique centrale ou du Sud.
En 2004, le commerce entre Caracas et Téhéran ne dépassait pas un million de dollars ; deux ans plus tard, il atteignait 50 fois ce chiffre. Chacun des deux pays a multiplié les sites de production chez son partenaire dans des secteurs comme l'automobile, les tracteurs, les cimenteries. En 2009, ils ont créé une banque commune de développement et ont signé de nouveaux accords de coopération. Et depuis 2007, des vols hebdomadaires assurent la liaison Téhéran / Caracas.             
En 2010, le Brésil et l'Iran se sont engagés à augmenter le volume de leurs échanges et à les porter à 10 milliards de dollars en 2014, notamment dans le domaine militaire avec des programmes de coopération concernant la production de munitions et la formation de personnels.
Les investissements de l'Iran en Amérique latine  lui permettent de mettre le pied dans l'ancienne arrière-cour des USA et également de soutenir sa propre économie, victime des sanctions onusiennes, notamment dans des secteurs comme l'aviation, l'automobile ou l'exploitation pétrolière. Et c'est peu dire que de telles activités préoccupent Washington …
(ces 4 lignes avec un arrière-fond en couleur différente ?)
Le BRICS et le GMT : kekseksa ?
Peu connu, le BRICS, créé en 2009, est une organisation regroupant 5 puissances émergentes (soit 3 milliards d'habitants) : le Brésil(B), la Russie(R), l'Inde(I),la Chine(C),  l'Afrique du Sud (S). Leur slogan « Pour un ordre international plus juste » exprime leur détermination à renforcer leur coopération économique, notamment par des échanges de ressources  technologiques et naturelles (métaux, minéraux, pétrole, gaz). Le BRICS n'a pas vraiment de politique étrangère précise mais souligne son désir d'indépendance envers l'Occident, spécialement les USA, ce qui s'avère, pour ce qui concerne le Brésil, un véritable bouleversement ! L'organisation souhaite aussi une vraie refondation du Conseil de sécurité de l'ONU, du FMI et de la Banque Mondiale.
Tout aussi peu connu, le GMT (Grand Marché Transatlantique), programmé pour 2015, est un projet d'union, sans entrave tarifaire, de l'UE (première puissance commerciale mondiale) et des USA. Nombreuses réunions secrètes, brouillard médiatique … bref, un projet qui avance dans le dos des citoyens.
Lire le monde autrement.
Le monde issu de la deuxième guerre mondiale ou de la guerre froide est en passe de disparaître, lentement mais sûrement. Les puissances occidentales vont devoir probablement céder leur suprématie économique et politique à d'autres pays comme la Chine ou l'Inde dans les décennies à venir.  Le pouvoir va ainsi peu à peu changer de mains. Quant aux alliances nouvelles, elles sont à regarder avec une autre grille de lecture : les idéologies passent souvent au second plan, des ambitions inédites naissent, faisant fi des idées reçues. C'est toujours le pragmatisme qui est de mise, comme le disait déjà il y a 150 ans lord Palmerston, premier ministre de la reine Victoria : «  Moi, je n'ai pas d'amis, je n'ai pas d'ennemis … je n'ai que des intérêts. »


SOURCES : « Le GMT : les multinationales contre la démocratie » de R. Cherenti et B. Poncelet,
                          éd. Bruno Leprince.
                      « Le Monde Diplomatique » novembre et décembre 2010, janvier 2011. »