samedi 1 décembre 2012

MARCHES FINANCIERS, MARCHES DE DUPES?

En janvier 2012, quelques mois avant l'élection présidentielle française,  François Hollande annonçait : « Dans cette bataille  qui s'engage, je vais vous dire qui est mon véritable adversaire. Il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc jamais élu. Cet adversaire, c'est le monde de la finance ... ». Déplorer que l'injection de milliards de $ dans la « machine » a surtout permis la reconstruction rapide des banques, est une chose. Mais, en pleine campagne électorale, s'attaquer aux marchés destructeurs d'emplois, aux acteurs de la haute banque et de la grande industrie, à la spéculation sur la dette des pays du sud de l'Europe, voilà qui devait être porteur pour un vrai candidat de la gauche française !
Quelques mois après la victoire de M. Hollande, la dénonciation des marchés financiers, parfois virulente, est grosso modo restée lettre morte. En choisissant M. Moscovici d'abord comme directeur de campagne puis comme ministre de l'économie, le candidat socialiste ignorait-il qu'il était vice-président du « Cercle de l'Industrie », un lobby réunissant les dirigeants des principaux groupes industriels français ???

Irresponsables hier, sages aujourd'hui.

Les marchés : les spécialistes de l'économie et la majorité des médias en parlent comme s'il s'agissait d'une sphère autonome, une entité anonyme qui agirait indépendamment de toute autre structure de pouvoir idéologique ou financier. Pourtant irrationnels dans leurs propos sur la rigueur et la croissance, les porte-parole des marchés sont écoutés comme des sages alors que leur raison d'être est essentiellement fondée sur la production d'un maximum de profit immédiat. Car ces hommes, ces femmes,  sont liés à ces structures de pouvoir, sociétés multinationales ou directeurs de Bourses qui pèsent de tout leur poids pour empêcher toute régulation.
Banquiers gourmands, spéculateurs avides... ont été vite pardonnés pour leurs excès. En France et ailleurs en Europe, ils ont été nommés à la tête des commissions chargées d'élaborer de nouvelles règles de conduite financières. Loin d'être blâmés, les irresponsables se sont métamorphosés en coordinateurs chargés de trouver une réponse à la crise. Tentatives  dignes de funambules quand on apprend qu'ils ont entretenu et entretiennent encore des liens étroits avec les principaux opérateurs PRIVES du secteur. Et pourtant, tentatives applaudies par une certaine presse et certains intellectuels envahissant les plateaux de télévision pour montrer leur enthousiasme en faveur de ces nouveaux sages ! Parmi ceux- là, on peut citer le baron belge Alexandre Lamfalussy (Fortis et INP Assurances) et le français Jacques de Larosière (AIG et ING Paribas).

Par ailleurs, en Italie, l'an dernier, la nomination de M. Mario Monti au poste de Président du Conseil a soulevé de nombreuses questions, notamment celle-ci : ses discours évoquant experts et technocrates ne cachaient-ils pas un « gouvernement de banquiers » ? Son équipe comptait et compte encore dans ses rangs des professeurs d'université mais la plupart de ses ministres siègent dans les conseils d'administration des principaux trusts du pays.

Personnalités publiques et  intérêts privés.

Partout sur notre continent, des dirigeants socialistes, sociaux-démocrates, socio-libéraux, grands dénonciateurs des outrances du système financier,  se sont reclassés sans trop de bruit, avec l'espoir d'un retour toujours possible. Au risque d'infliger aux lecteurs de La Lucarne une énumération fastidieuse, on ne passera pas sous silence l'opportunisme de quelques-uns. Ainsi, l'ancien premier Ministre des Pays-Bas, M. Wim Kok, a rejoint les conseils d'administration d'ING, de Shell et de KLM ; son homologue allemand, M. Gerhard Schröder est devenu président de la société Nord Stream AG (1) et également – pour s'occuper un peu ? – administrateur du groupe pétrolier TNK-BP … et conseiller Europe de Rothschild Investment Bank .Quant à l 'ancien chancelier autrichien Wolfgang Schüssel et au vice-président de la Convention européenne Giuliano Amato, ils sont conseillers d'un trust financier à Bahrein en compagnie de … Kofi Annan, ancien Secrétaire Général de l'ONU ! La liste des politiques passés au monde de la finance est encore longue : arrêtons l 'énumération pour éviter l'overdose !

Agents doubles et complicité des médias.

Alors que les mondes politique et financier sont souvent considérés comme distincts, parfois même opposés,  par les citoyens et les médias, il semble nécessaire d'identifier les « agents doubles » aux « multiples casquettes » pour comprendre le fonctionnement des marchés financiers. Rares sont ceux qui dénoncent une telle situation. A ce sujet, l'action de  Jean-Luc Mélenchon  (Front de gauche), candidat malheureux aux dernières présidentielles françaises, mérite d'être soulignée : malgré des excès de langage qui l'ont déconsidéré, M. Mélenchon n'a jamais hésité à accuser le mutisme de la plupart des médias sur les intérêts privés des personnalités politiques, désignant ainsi, selon lui, les vrais « complices du pouvoir ».



Les fantassins des écoles de commerce.

Dans un livre paru il y a deux ans déjà (2), une journaliste du « Monde » dénonçait le véritable formatage des étudiants dans les prestigieuses écoles de commerce, comme Solvay en Belgique ou  HEC en France, où l'on forme l'élite économique et financière de nos sociétés démocratiques, selon une idéologie qui, depuis 2008, a montré sa capacité de nuisances. Selon l'auteur, on y « fabrique » des hommes et des femmes d'excellence, avec le même logiciel de pensée libérale dotée d'un véritable dogmatisme. La grille de valeurs de telles écoles, leur vision des finalités de l'entreprise, tout cela mériterait d'être révisé de fond en comble, car le danger est grand de fabriquer des générations de « clones « performants, des serviteurs zélés « qui n'auraient plus qu'une calculette à la place du cerveau ».

Un autre droit de regard ?

Contrairement à l'idée reçue et entretenue, la haute finance a bien un, ou plutôt de nombreux visages qui se font discrets en arpentant les allées du pouvoir, où hommes et femmes politiques reconnaissent rarement leur dépendance envers elle, et encore moins le déni de démocratie que cet aveu entraînerait : force est de constater que les politiques économiques sont de moins en moins décidées au niveau des parlements. Face à des groupes parfois  plus puissants que des Etats, face à la régression sociale contestée partout, va-t-on pouvoir compter sur une plus grande implication, une plus grande participation citoyenne ? Sinon, comme le craint le sociologue français Alain Touraine, le social va disparaître et on le remplacera par l'humanitaire.
La  banque Goldman Sachs ou le cynisme au pouvoir .
« Les marchés faisaient déjà les programmes de gouvernements. Ils font maintenant les gouvernements et désignent les leurs comme Premier Ministre ! Et quand on dit « les marchés », il faudrait préciser « les banques » et surtout Goldman Sachs, celle-là même qui était au centre de la tourmente financière de 2008. Qu'y a-t-il de commun entre Mario Draghi, président de la Banque Centrale Européenne, Mario Monti, président du Conseil italien et Lucas Papademos, ancien Premier Ministre grec ? Facile ! Goldman Sachs, pardi ! » (Hugues Le Paige, …)

Le premier a été vice-président de la célèbre banque d'affaires de 2002 à 2005, le deuxième y a été conseiller international de 2005 à 2011. Le troisième était gouverneur de la Banque centrale grecque quand celle-ci maquillait ses comptes avec … Goldman Sachs afin de cacher l'ampleur de la dette du pays.
Cette banque d'affaires, née aux USA en 1869, et – rappelons-le, impliquée dans la crise des subprimes de 2008 (3) - a toujours été la reine des banques, proche du pouvoir politique. En Europe, hormis celles citées plus haut,  de hautes personnalités ont travaillé chez Goldman Sachs : le Français Antonio Borges, ancien chef du département européen du Fonds Monétaire International ; Peter Sutherland, ancien ministre irlandais ; et même Karel Van Miert (socialiste flamand), ancien commissaire à la concurrence de l'UE. Parmi d'autres …
 Cette concentration de pouvoir est inédite : elle fait pression sur les « élus » afin de mener des politiques d'austérité qui étranglent les économies et les peuples. Goldman Sachs est vraiment devenu le symbole de ce capitalisme financier qui réussit à se présenter comme la seule solution de bon sens, en toisant des chefs politiques , en dérèglant le monde et en méprisant la démocratie.


(1) Compagnie commune pour la réalisation d'un gazoduc reliant la Russie à l'Allemagne, avec un capital réparti entre Gazprom (Russie), EON (Allemagne), Gasunie (Pays-Bas) et GDF Suez (France).

(2) Florence Noiville : « J'ai fait HEC et je m'en excuse »  Ed. Stock

(3) Voir La Lucarne, n° 372 (mai 2008)


Sources : « Les marchés ont un visage » (Monde diplomatique, mai 2012)
                 J-C Guillebaud dans « Le Nouvel Observateur » 24/09/2009
                « Marianne » du 28/07/2012

lundi 1 octobre 2012

LES ESCLAVES MODERNES

« Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ;
L’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes. »
Art.4 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Esclave ! Ce mot fait penser à la traite négrière qui a arraché du sol africain des millions d’êtres humains, traités comme du bétail et « exportés » vers le continent américain où ils étaient vendus comme de la marchandise. Si cet esclavage a été aboli depuis longtemps, il ne demeure pas moins qu’aujourd’hui encore, des dizaines de millions de personnes vivent dans le désespoir et la servitude, perdus dans les mains d’exploiteurs sans pitié qui les affament, les maltraitent, les terrorisent… Ces esclaves modernes constituent une main d’œuvre sans voix, sans défense et corvéable à merci.
« Esclaves dès leur plus jeune âge ou tombés un jour en servitude, des êtres humains s’épuisent dans les champs, les fabriques, les mines, les plantations, les maisons, les ateliers ou les bordels. Esclaves pour dettes, victimes de négriers modernes ou clandestins pris au piège de la traite des êtres humains, ils subissent les pires traitements, réduits au statut d’objets. Contrairement à l’époque de la traite transatlantique, le critère déterminant n’est pas la couleur de la peau, ni l’origine ethnique mais la vulnérabilité qui permet une emprise totale sur une personne. » (www.esclavagemoderne.org)
Les principales formes contemporaines d’esclavage sont l’esclavage pour dettes, le travail forcé, l’esclavage sexuel (prostitution ou pornographie), le mariage forcé, l’esclavage traditionnel, et le travail exorbitant des enfants… Ces réalités dont les plus faibles sont les victimes existent sur tous les continents, même européen. La Lucarne ne peut les aborder toutes mais veut attirer votre attention sur quelques-unes peu développées dans les médias.

« C’EST MOZART QU’ON ASSASSINE »

Le travail des enfants est considéré comme de l’esclavage lorsqu’il se fait dans des situations dangereuses ou impliquant exploitation. Selon le Bureau international du travail (BIT), 250 millions d’enfants de 5 à 14 ans travailleraient actuellement dans le monde, près de la moitié dans des conditions dangereuses. Par exemple, ces enfants travaillant dans les mines en Inde dans la région du Meghalaya. Grâce à leur petite taille, ils peuvent entrer dans les galeries. En Côte d’Ivoire, des enfants travaillent dans des exploitations de cacaoyers dans lesquels ils pulvérisent des produits insecticides et débroussaillent à l’aide de machettes. En Egypte, ils cueillent le jasmin 10h par jour sans pause ni repas. En Colombie, ils sont « ouvriers » dans les carrières. En Haïti, les enfants sont employés dans les champs de canne à sucre.
D’autre part, l’Unicef estime à plus de 250000 les enfants soldats. Dans le monde, des garçons et des filles sont enlevés et enrôlés de force dans des groupes armés, contraints par le contexte social, économique et sécuritaire à devenir enfants soldats. Ils y sont utilisés en tant que soldats, cuisiniers, porteurs mais aussi à des fins sexuelles.
Non seulement, ces enfants accomplissent des tâches dangereuses mais les chances d’une éducation normale leur échappent. Ils sont perdants sur tous les plans. Toutefois, des ONG comme l’Unicef ainsi que des initiatives plus petites voient le jour pour aider ces enfants soldats. Junior Nzita, ancienne victime, a créé à Kinshasa une association dans laquelle plus de 90 anciens enfants soldats sont assistés, suivis, « rééduqués ».
Notons enfin, le phénomène majeur de l’exploitation sexuelle des enfants, plus d’1 million d’enfants asiatiques  en sont victimes : c’est l’Inde qui est le pays le plus touché avec plus de 400000 enfants recensés. Aux Etats-Unis, plus de 300000 sont concernés par ce fléau tandis qu’en Afrique du Sud environ 30000 enfants se prostituent. (http://www.droitsenfant.org/exploitation-sexuelle-enfants)
DES HOMMES CORVEABLES A MERCI SUR NOTRE CONTINENT 

En Grande-Bretagne, à l’automne 2011, la police a découvert des Anglais, sans-logis, réduits en esclavage par des gangs de famille nomades d’origine irlandaise. Très souvent, ils étaient recrutés dans les soupes populaires pour travailler sur des chantiers dans leur pays ou être « exportés » vers les pays scandinaves. Un homme auquel on avait promis « 50 livres par jour et autant d’alcool qu’il voulait » déclarait avoir été gardé pendant huit mois dans un camping du comté de Bedford, d’où on l’emmenait sur des sites de démolition. « Si vous faisiez mine de vouloir vous échapper, on vous rouait de coups. Pas d’argent et peu de nourriture »
Après enquête et témoignage, la police a arrêté, parmi les baraques et caravanes, six Irlandais et a découvert 24 victimes d’origine anglaise ou d’Europe de l’Est forcées d’y vivre dans des conditions exécrables. A la suite de la découverte de ces événements, le quotidien « Times » a calculé que ces groupes, formés de trois ou quatre familles irlandaises, y avaient gagné quelque 15 millions d’euros.

Une autre problématique est celle de ces milliers de Turcs, de Polonais, de Tchèques, de Slovaques devenus des chauffeurs-routiers low-cost. Ils travaillent pour des grands groupes de transport français ou européens de l’Ouest par le biais d’ingénieux jeux de filiales. Ils vivent sur le bord de la route ou sur les parkings et coûtent 3 x moins cher qu’un chauffeur de nos régions. Ils sont poussés à tricher sur leur temps de travail et à rouler plus dangereusement pour être rentables.

L’O.I.T. (Organisation Internationale du Travail) fondée en 1919 et devenue la 1ère agence spécialisée des Nations Unies en 1946 a pour but de promouvoir la justice sociale et les droits reconnus de la personne humaine et du travail. Elle est la seule organisation tripartite au sein de l’ONU, et chacun de ses 183 Etats Membres est représenté par deux délégués du gouvernement, un délégué des employeurs et un délégué des travailleurs qui peuvent voter de manière indépendante. Les nouvelles normes de l’O.I.T. stipulent que les travailleurs domestiques devront disposer des mêmes droits fondamentaux au travail que ceux des autres travailleurs : des horaires de travail raisonnables, un repos hebdomadaire d’au moins 24 h consécutives, une limitation des paiements en liquide, une information claire sur les termes et les conditions d’embauche ainsi que le respect des principes et droits fondamentaux au travail, y compris la liberté d’association et le droit à la négociation collective.
En juin 2012, la Commission européenne a présenté un ensemble de mesures ayant pour but l’éradication de la traite des êtres humains. Celles-ci misent sur la prévention, la protection juridique et autres ainsi que le soutien aux victimes sans oublier la poursuite des trafiquants. Un enjeu puisque la traite des êtres humains génèrerait près de 32 milliards de profit par an.

LES FEMMES DOMESTIQUES SUBISSENT …  

Le B.I.T a estimé selon des enquêtes ou des recensements dans 117 pays à au moins 53 millions de travailleurs domestiques mais les spécialistes estiment qu’il pourrait dépasser largement les 100 millions. Selon l’O.I.T., 83% des domestiques sont des femmes ou des jeunes filles. Elles travaillent dans des familles du Proche ou Moyen-Orient mais aussi en Europe. Certaines d’entre elles sont victimes de l’exploitation sexuelle.
Au Liban, de nombreuses femmes d’origine asiatique ou africaine, travaillent comme bonnes à tout faire. Martha, une Ethiopienne d’une vingtaine d’années  était frappée, insultée par son employeur et ses trois enfants. En effet, beaucoup de patrons libanais, ont l’habitude de conserver le passeport et de ne pas laisser sortir leurs employées pendant des années. Elles sont victimes d’autres violences comme des viols, des humiliations, des conditions de vie horribles et souvent non-payées.  Une autre « terre d’accueil » pour les domestiques est l’Arabie Saoudite. Dans ce  pays, tout employé étranger a besoin d’un parrainage pour pouvoir y travailler. Une porte ouverte à l’exploitation ! Ainsi, si une domestique veut quitter un employeur violent, elle ne le peut pas car elle doit recevoir une autorisation expresse de sa part. Cependant, en Arabie Saoudite, au Bahreïn, au Koweït, des volontés politiques s’affirment afin de faire évoluer ce système de parrainage voire même d’y mettre fin. Ces responsables sont confrontés au lobby des chefs d’entreprises mais aussi au secteur lucratif des visas.
En 2010, la justice belge a inculpé neuf personnes dont huit princesses des Emirats arabes unis pour traite des êtres humains et séquestration de 23 femmes domestiques de huit nationalités. En Europe, elles sont des milliers à subir cette nouvelle forme d’asservissement. Beaucoup sont au service de diplomates sûrs de leur impunité.

… ET SE REBIFFENT

Au Brésil, grâce à une croissance économique soutenue, à la diminution du fossé entre les plus riches et les plus pauvres, aux investissements étrangers dans les régions moins favorisées, le rapport de forces entre patrons et employés s’est inversé en faveur de ces derniers. Les bonnes et autres employés de maison ont vu leurs salaires progresser plus rapidement que ceux des autres catégories socio-professionnelles. (40% de pouvoir d’achat réel) En position de force, ils imposent leurs conditions de travail, leur salaire, n’habitent plus chez leurs patrons. Et pour montrer toute leur importance aujourd’hui, un téléfilm « Cheias de charme » lancé par la chaîne Rede Globo a donné un rôle primordial à une domestica en racontant sa vie et son histoire. Un bouleversement !

Même si de nombreuses personnes se lèvent pour défendre la cause de ces enfants, hommes et femmes exploités, beaucoup de situations honteuses demeurent. A travers ces souffrances infligées, c’est la question de notre humanité qui est au cœur du débat. Quelle est la valeur de l’être humain dans notre société d’aujourd’hui face au profit que peut rapporter la traite des Hommes ? Que faisons-nous pour que les enfants, l’avenir du monde, puissent devenir des citoyens responsables d’un monde plus juste ?

Sources :

Le Vif n°3184 du 13 au 26 juillet 2012 pp 60-62.
ec.europa.eu/news/justice
Envoyé spécial France 2 diffusé en février 2011
Envoyé spécial France 2 diffusé en octobre 2011.

mardi 1 mai 2012

ALLIANCES INTERNATIONALES INSOLITES

Loin des micros et des caméras, des partenariats très discrets entre différents pays se créent  à travers le monde. Ils ne font  pas la une des journaux écrits, parlés ou télévisés.
Un sommet Inde-Afrique à New-Delhi, un autre entre Amérique latine et monde arabe au Qatar, un troisième entre Amérique latine et Afrique au Venezuela : tout cela en 2009. Qui en a entendu parler ?
La Chine est devenue récemment, avant les USA,  le premier acheteur de pétrole saoudien. Une coordination économique et politique existe depuis peu entre l'Inde, le Brésil, la Russie, la Chine et l'Afrique du sud. Surprenant !

Les vieilles amitiés particulières.

Les médias regorgent de nouvelles concernant ces amitiés de longue date. On n'arrête pas d'entendre parler de l'Union Européenne, actuellement de 27 membres, ou  de l'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) qui regroupe militairement  les pays d'Amérique du Nord et la plupart des pays européens. Les difficultés économiques de la Grèce et les déboires de l'OTAN en Afghanistan font régulièrement la une en Occident depuis des mois. L'alliance économique entre la Chine et les USA n'est  plus un secret pour personne. Sont un peu moins souvent cités, en tout cas dans les médias européens, le MERCOSUR(1), sorte de marché commun d'Amérique du Sud qui vise l'union économique et politique du sous-continent ; ou l'ALENA (2), simple accord de libre-échange nord-américain entre le Mexique, les USA et le Canada.
Les rapprochements récents … inattendus.
Depuis une dizaine d'années, certains rapprochements ont été initiés soit par des pays désireux de desserrer une étreinte imposée pendant des décennies par une grande puissance (les anciens pays d'Europe de l'Est, satellites de l'ex-URSS), soit par des pays émergents comme la Corée du Sud qui cherchent à élargir leurs frontières économiques. D'autres partenariats, cités dans les exemples ci-après, sont a priori moins logiques et pourraient même sembler contre nature ...
Inde et Iran.
Après avoir voté à plusieurs reprises en faveur des sanctions décidées par l'ONU contre le programme nucléaire iranien, l'Inde a  pourtant mis en place avec Téhéran un ambitieux partenariat de rénovation de routes et de ports iraniens, mais aussi des échanges militaires et de ventes d'armes. Des compagnies indiennes sont installées en Iran : New Delhi renâcle souvent contre les sanctions supplémentaires imposées par l'UE et les USA au gouvernement de M.Ahmadinejad car elles affectent la bonne santé de ces compagnies. L'Inde, se méfiant de son voisin pakistanais soutenu par les Occidentaux, commence à prendre ses distances envers ces mêmes Occidentaux. En Iran, c'est à la Chine qu'elle ne veut pas  laisser le champ libre et par sa diplomatie, veut éviter que la crise iranienne ajoutée à la guerre en Afghanistan ne déstabilise plus encore cette partie du monde déjà très fragilisée.
Inde et Israël.
Le rapprochement entre New Delhi et Téhéran aurait pu inciter Israël à refuser toute collaboration avec l'Inde, l'Iran étant un des ennemis jurés de Tel-Aviv. Pourtant, dès 1992, avec la fin de la guerre froide et les perspectives de paix de la Conférence de Madrid sur le Proche-Orient, New Delhi a établi des liens diplomatiques avec l'Etat hébreu. Malgré l'opposition de la minorité musulmane indienne, les gouvernements indiens ont depuis, affiché ouvertement leur sympathie pour Tel-Aviv, avec à la clé, une coopération économique  sans cesse renforcée, essentiellement dans les domaines de la défense et de la sécurité. Ainsi, quand les exportations d'armes israéliennes qui s'effectuaient en grande partie vers la Chine ont fortement diminué, à la suite du véto opposé par les USA (grand allié de l'Etat hébreu) au transfert de technologies sensibles à Pékin, Israël s'est  tourné vers d'autres marchés, dont l'Inde, depuis plusieurs années en grande croissance économique.  Chars, hélicoptères, porte-avions, avions de combat  ont tous été équipés de matériel électronique israélien. Ensuite, des radars Phalcon ont été développés et vendus à l'armée indienne (après en avoir interdit à Israël la vente à la Chine en 2000, Washington l'a autorisée pour l'Inde). Et il y a  4 ans, les deux Etats ont annoncé un projet d'accord de 2,5 milliards de dollars pour la mise au point d'un système de lutte antiaérienne basé sur le missile Barak, destiné aux armées de terre et de l'air. Mieux : en 2008, l'Inde a lancé pour Israël un satellite d'espionnage susceptible de fournir des informations sur les installations stratégiques … iraniennes !
Depuis longtemps déjà, la diplomatie indienne aime faire le grand écart : en 2003, elle avait reçu successivement MM. Ariel Sharon et Mohammad Khatami !
Chine et Arabie saoudite.
En dix ans, de solides relations se sont tissées entre la Chine, pays qui se réclame de l'athéisme et du « communisme », et l'Arabie saoudite, gardienne des lieux saints de l'islam et monarchie réactionnaire où, entre autres, les femmes n'ont pratiquement aucun droit. En 2009, la Chine est devenue le premier acheteur de pétrole saoudien. Et elle a vendu de grosses quantités de voitures dans ce royaume friand de 4X4. Tout cela soulève des inquiétudes à Washington, même si les relations actuelles sont surtout économiques.
Les entreprises chinoises déploient beaucoup d'agressivité sur les marchés de la construction et ont même failli évincer la France sur le marché du TGV  La Mecque-Medine. Il faut dire qu'elles ont une énorme capacité à tisser des relations étroites avec les décideurs politiques et même la famille royale. Elles peuvent aussi envoyer très vite une main-d'oeuvre peu payée et sont toujours prêtes à  « terminer le chantier pour hier « !
La Chine a réussi une percée qui s'élargit à tout le Proche-Orient : le commerce entre les deux entités a bondi, entre 2004 et 2009,  de 37 à 110 milliards de dollars. Des forums sino-arabes  réunissent régulièrement des hommes d'affaires comme des responsables politiques. Même les échanges culturels s'intensifient : la chaîne télé Al-Jazirah dispose de bureaux à Pékin qui a lancé une version arabe de sa chaîne d'information CCTV. Et sur l'international, Riyad et Pékin partagent une approche similaire, un même respect de la non-ingérence et le même mépris pour la diplomatie occidentale des droits humains, perçue comme « opportuniste et à géométrie variable ».
Il existe aussi des relations militaires entre les deux pays, en toute discrétion. Le seul achat connu (et reconnu) de matériel chinois serait l'acquisition de missiles CSS-5 et 6 en 2010 …
Iran et Amérique latine.
Depuis son élection en 2005, M. Ahmadinejad, président iranien, a été reçu dans la plupart des pays latino-américains. Et à Téhéran, il a accueilli MM. Correa, Morales, Ortega (présidents de l'Equateur, de Bolivie, du Nicaragua) ainsi que Lula da Silva (ex-président du Brésil). M. Chavez, président du Venezuela, a, quant à lui, déjà effectué 9 visites dans la capitale iranienne. L'Iran a ouvert de nouvelles ambassades dans une dizaine de pays d'Amérique centrale ou du Sud.
En 2004, le commerce entre Caracas et Téhéran ne dépassait pas un million de dollars ; deux ans plus tard, il atteignait 50 fois ce chiffre. Chacun des deux pays a multiplié les sites de production chez son partenaire dans des secteurs comme l'automobile, les tracteurs, les cimenteries. En 2009, ils ont créé une banque commune de développement et ont signé de nouveaux accords de coopération. Et depuis 2007, des vols hebdomadaires assurent la liaison Téhéran / Caracas.             
En 2010, le Brésil et l'Iran se sont engagés à augmenter le volume de leurs échanges et à les porter à 10 milliards de dollars en 2014, notamment dans le domaine militaire avec des programmes de coopération concernant la production de munitions et la formation de personnels.
Les investissements de l'Iran en Amérique latine  lui permettent de mettre le pied dans l'ancienne arrière-cour des USA et également de soutenir sa propre économie, victime des sanctions onusiennes, notamment dans des secteurs comme l'aviation, l'automobile ou l'exploitation pétrolière. Et c'est peu dire que de telles activités préoccupent Washington …
(ces 4 lignes avec un arrière-fond en couleur différente ?)
Le BRICS et le GMT : kekseksa ?
Peu connu, le BRICS, créé en 2009, est une organisation regroupant 5 puissances émergentes (soit 3 milliards d'habitants) : le Brésil(B), la Russie(R), l'Inde(I),la Chine(C),  l'Afrique du Sud (S). Leur slogan « Pour un ordre international plus juste » exprime leur détermination à renforcer leur coopération économique, notamment par des échanges de ressources  technologiques et naturelles (métaux, minéraux, pétrole, gaz). Le BRICS n'a pas vraiment de politique étrangère précise mais souligne son désir d'indépendance envers l'Occident, spécialement les USA, ce qui s'avère, pour ce qui concerne le Brésil, un véritable bouleversement ! L'organisation souhaite aussi une vraie refondation du Conseil de sécurité de l'ONU, du FMI et de la Banque Mondiale.
Tout aussi peu connu, le GMT (Grand Marché Transatlantique), programmé pour 2015, est un projet d'union, sans entrave tarifaire, de l'UE (première puissance commerciale mondiale) et des USA. Nombreuses réunions secrètes, brouillard médiatique … bref, un projet qui avance dans le dos des citoyens.
Lire le monde autrement.
Le monde issu de la deuxième guerre mondiale ou de la guerre froide est en passe de disparaître, lentement mais sûrement. Les puissances occidentales vont devoir probablement céder leur suprématie économique et politique à d'autres pays comme la Chine ou l'Inde dans les décennies à venir.  Le pouvoir va ainsi peu à peu changer de mains. Quant aux alliances nouvelles, elles sont à regarder avec une autre grille de lecture : les idéologies passent souvent au second plan, des ambitions inédites naissent, faisant fi des idées reçues. C'est toujours le pragmatisme qui est de mise, comme le disait déjà il y a 150 ans lord Palmerston, premier ministre de la reine Victoria : «  Moi, je n'ai pas d'amis, je n'ai pas d'ennemis … je n'ai que des intérêts. »


SOURCES : « Le GMT : les multinationales contre la démocratie » de R. Cherenti et B. Poncelet,
                          éd. Bruno Leprince.
                      « Le Monde Diplomatique » novembre et décembre 2010, janvier 2011. »